Depuis Juin 2013, je suis membre de la Commission électorale nationale indépendante en République démocratique du Congo. J’ai eu le privilège d’être choisi par les organisations de la société civile œuvrant dans le domaine de l’éducation civique et électorale pour un mandat de 6 ans non renouvelable. Nos principaux défis, comme membre de la CENI est d’organiser des élections justes et transparentes au niveau local, provincial et national. De manière particulière, je suis en charge du suivi de la jeunesse, des personnes vivant avec handicap et des populations autochtones.
Pourquoi je m’exprime aujourd’hui devant vous ?
Certainement, parce que les organisateurs ont bien voulu donner la parole à un Africain disponible et ayant une grande probabilité d’atteindre Barcelone, lieu de cet assemblée plénière du MIIC-Pax Romana. Mais , surtout et aussi, comme le disait Kevin dans son texte de préparation d’une conférence mondiale de Pax Romana en novembre 2014 pour favoriser le partage entre les membres ou les groupes vivant dans différentes parties du monde et de montrer comme mouvement mondial, quel bénéfice l’on peut tirer du dialogue entre différentes cultures, et comme mouvement laïc, nous pouvions le faire à partir des expériences humaines de nos membres.
Le point de départ fixé de cette conférence mondiale virtuelle de Pax Romana était le chapitre 2 de l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium qui évoque la crise de l’engagement communautaire. Dans sa démarche pour l’action évangélisatrice, le Pape François décrit brièvement le contexte dans lequel nous devons vivre et agir. En analysant cette description, nous avions l’impression que certaines nuances africaines n’y figuraient pas. En 2014, quand nous partageons au sujet de la crise de l’engagement communautaire en RDC et en Afrique, nous avons estimé qu’il était important de décrire le contexte dans lequel nous vivons et à laquelle nous sommes appelés à agir en RDC et en Afrique. C’est donc avec une joie immense que je m’empresse de vous décrire le contexte politique de la République Démocratique du Congo en espérant qu’il contribuera à inspirer des actions futures de Pax Romana et de l’Eglise.
Situation géographique et politico-historique de la RDC.
La République Démocratique du Congo est un pays situé en Afrique centrale, avec une Superficie de 2 345 409 km2, avec 26 provinces. Il compte près de 80 millions de Congolais dont une grande majorité est chrétienne. Une frontière d’environ 10.000 km, qu’il partage avec 9 voisins que sont : Le Congo-Brazzaville, La République centrafricaine, Le Soudan du Sud, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, la Zambie et l’Angola. La langue officielle est le français, mais nous avons également 4 langues nationales: le kikongo, le lingala, le swahili et le Tshiluba. Et plus de 450 langues y sont parlées dans D.R. Congo. La RDC est couverte par les bassins des fleuves Congo et Nil. (2e et 3e plus grand bassin hydrographique du monde après l’Amazone).
Ayant accédé à l’indépendance depuis le 30 juin 1960, après une colonisation belge, la RDC a été marqué par l’assassinat de son chef de gouvernement, Patrice .Emery . Lumumba, 7 mois plus tard. Pendant plus de 32 ans, après un coup d’Etat militaire évinçant le président Joseph KASA VUBU en 1965, la RDC a été gérée par une dictature militaire dirigée par Joseph Désiré MOBUTU aux allures d’une organisation criminelle au sommet de l’Etat reposant sur cinq piliers, à savoir: 1. l’armée. 2. Le Secret Service. 3. Les réseaux mafieux de commerce local et international. 4. L’Administration 5. Le parti unique MPR, jusqu’en 1990. Les principaux dirigeants de ces piliers étaient généralement des membres du clan Mobutu (membres de la famille ou des alliances étroites, des amis, des clients fidèles, etc.)[1]
Constatant la faillite du pays, une Conférence Nationale Souveraine a été organisé pour mettre en orbite le processus de démocratisation. Cela fut un échec avec l’idée en filigrane selon laquelle les Congolais ne peuvent pas être ensemble eux-mêmes et trouver la solution à leurs problèmes. La situation volatile dans la sous-région des Grands Lacs après le génocide au Rwanda et les atermoiements des acteurs politiques a provoqué la guerre en RDC de 1996 à 2002, avec la prise de pouvoir en 1997 de Laurent Désiré Kabila avec l’appui des forces extérieures. Nous évoquons généralement, la guerre des armées sans frontières, la guerre des étrangers sur le territoire congolais et la guerre de pillage des ressources naturelles. L’assassinat de Laurent Désiré en en 2001 et son remplacement par son fils, Joseph Kabila en tant que président de la République Démocratique du Congo, a coïncidé avec la phase de pacification qu’il a boosté. L’accord de cessez-le feu de Lusaka signé en Août 1999, a occasionné des nombreuses négociations à travers le monde et la signature de l’Accord global et inclusif à Pretoria en Décembre 2002. Cet accord consacre le partage du pouvoir pendant une transition de trois ans entre les différents groupes armés qui se sont affrontés durant 6 ans. Finalement, une constitution a été adoptée par référendum en Décembre 2005 et promulguée par le Président, Joseph Kabila, le 18 Février 2006. C’est dans cette constitution qu’il est stipulé que le président ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.
L’élection présidentielle et celles des députés nationaux, celles des députés provinciaux, des sénateurs et des gouverneurs provinciaux ont été organisées en 2006. Des violences ont été signalées, avant, pendant et après l’organisation des scrutins directs. Malheureusement, jusqu’à ce jour, les élections municipales, urbaines et locales n’ont pas été organisées. Ces jours-ci, la gestion de l’alternance pour le poste de Président de la République est la principale préoccupation politique. Le Président, Joseph Kabila, ne peut plus se représenter pour un autre mandat selon la constitution. Ceci est la première fois que le pays peut faire l’expérience d’une transition pacifique entre un Président sortant et entrant.
En fait, le pays a entamé 4 processus politiques qui sont sujettes à des problèmes importants pour atteindre le mieux être des populations.
- Le Processus d’indépendance entamé en 1960 avec l’accession du pays à la souveraineté internationale. Aujourd’hui, en République Démocratique du Congo, des nombreuses grandes décisions qui concernent le pays sont prises en l’absence des congolais. Les décisions sont plus subies que prises par les congolais. Ce processus d’indépendance fait face à l’extraversion politique, économique et culturelle, à la consolidation de la corruption, aux pillages des ressources naturelles, à la pauvreté de la population, mais aussi, à la faillite de l’Etat.
- Le processus de démocratisation, commencé au début de l’année 1990 avec l’idée d’évincer Mobutu du pouvoir, ce processus a été mis en route avec la promotion du respect des droits humains et la construction d’un Etat de droit. Ce processus est confronté à des problèmes comme le grand nombre des partis politiques (environ 523 partis politiques), l’émiettement de la classe politique et la faible représentativité des partis politiques ; l’organisation non régulière des élections ; des alliances politiques opportunistes ; la non acceptation des résultats des élections ; L’accentuation des clivages tribaux, ethniques et régionaux et les violences armés ainsi que la guerre.
- Le processus de pacification entamé en 1999 après le déclenchement des guerres de 1996 et 1998, elle vise à restaurer la paix et à gérer les conflits armés principalement. Elle évolue difficilement dans la mesure où les reformes du secteur de sécurité sont difficiles, le sentiment d’abandon des populations ainsi que la faiblesse de l’autorité de l’Etat, les initiatives de Désarmement, de Démobilisation et réintégration ne sont pas finalisées, mais aussi des nombreux acteurs nationaux et internationaux sont en mal d’instabilité en RDC.
- Le processus de décentralisation débuté autour des années 1988, il a été remis en selle avec l’adoption de la constitution en 2006. Il fixe l’espoir de la répartition des responsabilités, des charges et du pouvoir avec la Capitale Kinshasa. Ce processus doit faire face à une fiscalisation inadéquate et la crainte de Balkanisation du pays.
Les principaux défis de la société congolaise sont de trois ordres.
- Les défis du Pouvoir, liés à la conception et à l’exercice du pouvoir.
- Les défis de l’Avoir, liés à la gestion, à la production, à la distribution, à la répartition de l’avoir, et particulièrement nos rapports avec l’argent.
- Les défis du Valoir, défis culturels liés à notre système de valeurs.
ü Le défi du pouvoir.
a) Le pouvoir politique est conçu comme moyen d’enrichissement personnel et de valorisation personnelle excluant toute notion de bien commun. Cette conception du pouvoir politique génère de nombreux problèmes de gouvernance conduisant à de nombreux conflits majeurs en Afrique et en RDC.
b) Le pouvoir politique est perçu comme un moyen de dominer les autres. Ainsi toute violence devient possible. Les clivages ethniques, tribaux et régionaux deviennent nocifs et dangereux pour le jeu politique en radicalisant les acteurs.
ü Le défi de l’avoir.
c) Aujourd’hui, la majorité des guerres africaines et les conflits armés sont causés par la course à l’avoir. La Colonisation, la néo-colonisation, la mondialisation est basée sur un désir immodéré d’avoir. L’Afrique est considérée comme un grenier où tout le monde peut venir puiser. L’argent est considéré comme une fin et non un moyen. Ainsi, Corruption, pauvreté, répartition inégale des biens deviennent les principaux problèmes à résoudre.
d) Ceux qui cherchent l’argent peuvent tuer impunément, peuvent travailler avec des terroristes, des groupes armés dans le silence. Merci au Pape François qui a parlé du silence honteux sur le massacre en cours des populations dans la région de Beni en RDC. Comme le Pape François, nous devons dire en Afrique et en RDC, non à l’économie de l’exclusion, non à l’idolâtrie de l’argent, non à l’argent qui règne au lieu de servir.
ü Le défi du valoir.
e) L’extraversion culturelle et idéologique constitue l’un des problèmes majeurs de cet axe. La technique du bouc émissaire est en vigueur dans toutes les sphères. C’est toujours l’autre qui ne fait pas ce qu’il devrait faire.
f) Aujourd’hui, dans quel système culturel vivons-nous ? C’est un système où les plus forts écrasent les plus faibles ; les grands éloignent les petits ; les riches dépouillent les pauvres.
g) Quels sont les valeurs apprises dans un contexte où l’on tranche des femmes, des hommes, des enfants à la machette sans que les medias puissants ne puissent en dire un mot, sans que la compassion ne puisse se déclencher ? C’est un sentiment de révolte, d’injustice, de repli sur soi
Comment notre système de gouvernance peut il être amélioré ? notre leadership transformé en RDC et en Afrique ? Je suggérerai deux actions prioritaires.
1) Démarrer une prise en charge correcte de la jeunesse.
2) Animer efficacement les structures locales de gouvernance.
Démarrer par une prise en charge correcte de la jeunesse.
De mon point de vue, le point de départ d’un mieux être en République Démocratique du Congo et par induction, en Afrique, est la prise en charge correcte de la jeunesse. L’absence des statistiques fiables rend difficile la perception de l’importance de cette catégorie de la population en quantité et en qualité. J’ai affirmé au cours d’un échange avec les jeunes leaders à Kinshasa, que la démocratie qui prône les élections, évoque également le principe de la majorité qui gouverne ou qui décide. Cependant, en République Démocratique du Congo, il existe environ 61% d’électeurs qui ont entre 18 et 35 ans, mais moins de 10 % d’élus ou des animateurs des institutions publiques qui peuvent être classifiés dans cette catégorie d’âge. Pire, un grand nombre des leaders sociaux et des animateurs des institutions publiques développent un mépris, une indifférence et une irresponsabilité vis-à-vis de cette catégorie de la population. Ces jeunes qui ne sont pas pris en compte chez eux, sont rapidement séduits par le pouvoir, l’argent et le bien être que leur promet les autres en Europe, en Amérique et même en Asie. Aujourd’hui, il existe deux milieux où les jeunes peuvent être atteints pour un engagement communautaire efficace, le milieu scolaire et académique, ainsi que l’Eglise. Les milieux scolaires et académiques qui nécessitent des reformes afin d’initier les enfants et les jeunes à la vie sociale que nous souhaitons, mais aussi préparer les jeunes à connaître et à transformer leur milieu de vie. Ici, nous devons vite sortir de la promotion presque exclusive de la bureaucratie et du système financier manipulateur, pour rapidement assurer la promotion des travaux manuels, notamment la maitrise des outils de transformation de la terre et du milieu de vie en vue d’une économie saine. La promotion des programmes sociaux, parascolaires et scolaires à ces fins est cruciale. Nous pourrons ainsi sortir de cette urbanisation de la vie, abandonnant d’innombrables périmètres sans gestion durable avec des conséquences dramatiques pour les jeunes. A l’Etat actuelle de notre situation, l’Eglise peut développer des initiatives en vue de la récupération des jeunes plus âgés, en milieu fermé, pendant une période suffisante, permettant d’acquérir une mentalité adaptée à un service efficace à la communauté.
Animer efficacement les structures locales de gouvernance.
Dans un pays comme la République Démocratique du Congo, les préoccupations que les populations rencontrent au quotidien ont du mal à recevoir des réponses adéquates du fait de la faiblesse des structures de gouvernance au niveau local. L’absence d’organisation des élections au niveau local en RDC engendre une absence des élus locaux qui, à son tour, occasionne une déresponsabilisation des citoyens par rapport à leur environnement commun. L’autorité de l’Etat s’en trouve ainsi affectée avec toutes les conséquences que cela peut causer, notamment, le sentiment d’abandon des populations. L’implication ou la participation des populations à la gestion de l’espace commun constitue la clé de la réussite d’une gouvernance locale dans la mesure où elle devrait permettre, dans un premier temps, l’expression des besoins et la prise des décisions de manière consensuelle, notamment sur les priorités. Deuxièmement, les citoyens pourraient convenir de la contribution de chacun pour la satisfaction de ces besoins identifiés et enfin, fixer la répartition des gains de manière équitable. Pour cela, il est important d’outiller les citoyens en vue d’une animation démocratique des structures locales de gouvernance. Dans mon entendement, nous devons absolument lier la dévolution du pouvoir avec la satisfaction des besoins des populations, quitte à échafauder des mécanismes qui y sont adaptés pour le respect des principes démocratiques et des droits humains. Dans ces conditions, la priorité pour la gouvernance en République Démocratique du Congo devrait être notre capacité à évaluer systématiquement, régulièrement et à court terme, la satisfaction des besoins des populations. Nous devons vite sortir des statistiques qui nous endorment ou qui nous excitent, sans vraiment une réelle amélioration rapide des conditions de vie des populations.
Quelle action pour le MIIC-RDC dans ce contexte ?
Le principal objectif du MIIC-RDC, aujourd’hui est celui de responsabiliser les intellectuels et professionnels catholiques en République Démocratique du Congo par rapport à la vie de l’Eglise et de la Nation. Il se développe en trois axes.
Le premier axe est celui de planifier des activités au niveau des différentes entités ecclésiastiques (Province et Diocèse) en accord avec la hiérarchie de l’Eglise Catholique en vue de la vulgarisation des lettres et exhortations de l’Eglise, mais aussi de la formation sur la doctrine sociale de l’Eglise.
Le Deuxième axe vise à développer une citoyenneté active et responsable à travers des ateliers de réflexion et de conscientisation régulière sur la Politique, l’Economie, les Droits Humains, la Démocratie, la Famille, la Paix, la Justice, l’Education, la Culture, etc, mais aussi, sur le suivi et l’évaluation de la participation des professionnels et intellectuels catholiques dans les différentes sphères de la société. Il est important que les professionnels et intellectuels catholiques partagent leurs idées et adoptent des actions transformant leurs milieux de vie.
Le troisième axe vise à redynamiser les structures du MIIC-RDC/Pax Romana, notamment la représentation des Diocèses et les Secrétariats Spécialisés afin de mobiliser davantage les membres de Pax Romana à travers le pays et ne pas laisser seul le Comité Exécutif National du MIIC-RDC/Pax Romana dans l’animation de celui-ci. Les secrétariats spécialisées ont été fixées de sorte que le MIIC-RDC/Pax Romana intervienne autant dans la sphère politique, économique, sociale et culturelle afin de trouver des voies efficaces pour la transformation réelle de notre société.
En guise de conclusion, je voudrai reprendre un commentaire fait dans la cadre de la préparation de cette assemblée plénière.
La globalisation de l’indifférence est une traduction des défis actuels du monde tels que le perçoit le pape François dans l’Exhortation apostolique Evangelli Gaudium qui décrit ces sentiments permanents de peur, de crainte, de désespoir, de précarité, d’irrespect, d’injustice, de marginalisation, d’attentisme, de révolte et même d’insatisfaction qui habitent les hommes et les femmes de notre temps. C’est vrai, elle se traduit selon les contextes et les régions du monde de différentes manières.
La globalisation de l’indifférence est une question identitaire dans la mesure où elle s’appuie sur l’exclusion. La première exclusion à observer dans notre vie est l’exclusion de Dieu. Nos intérêts ne semblent plus coïncider avec ceux de l’Eternel, ceux des autres. « Que chacun de vous au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres » (Philippiens 2,4). Il nous a donc paru important de promouvoir la culture de l’Amour, de la Foi et de l’Esperance. Il est question de proposer une alternative à cet individualisme, cet égoïsme, cet égocentrisme et ce narcissisme qui caractérisent un grand nombre d’hommes et de femmes de notre époque, un grand nombre de communauté, de nation et d’Etat.
La réponse pour nous, c’est cette responsabilisation des intellectuels et professionnels catholiques en République Démocratique du Congo par rapport à la vie de l’Eglise et de la Nation. Nous devons briser cet anonymat qui favorise l’attentisme dans les domaines politique, économique, social et culturel, qui amène certains chrétiens à se cacher ou à cacher des fléaux qui couvent dans notre société et qui risquent de nous conduire inéluctablement à cette deshumanisation contre laquelle le pape François nous met en garde.
[1] Rigobert MINANI s.j, 1990-2007, 17 ans de transitions politiques et perspectives démocratiques en RDC, Cepas/Rodhecic 2008
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