Le vote récent du Parlement européen contre le gouvernement hongrois demande l’application de l’article 7 du traité de l’Union européenne, qui permet aux institutions européennes de soumettre un Etat membre à une sanction en cas de violation manifeste d’un des principes fondamentaux de l’Union : la démocratie. Il est bien connu qu’une telle demande ne produira pas d’effets, puisque la décision finale doit être prise par le Conseil européen, où plusieurs gouvernements, comme ceux de la Pologne, de l’Autriche et de l’Italie, sont du côté du gouvernement de M. Orban.
Toute cette histoire est la manifestation la plus récente de la crise historique que traverse la démocratie représentative moderne en Europe et en Amérique. Une telle crise concerne la compréhension de ce qu’est la démocratie. Les pratiques démocratiques modernes reposent sur l’idée fondamentale de créer des limites explicites et inviolables à tout exercice du pouvoir et de l’autorité, de sorte que même le pouvoir du peuple est soumis à une limite fixée dans la liste des droits et des devoirs des citoyens et des différentes communautés. D’autre part, l’idée de démocratie propre à plusieurs mouvements politiques en Europe et à l’administration de Trump aux Etats-Unis repose sur l’idée que le processus démocratique consiste en un simple mandat populaire qui permet au vainqueur d’une élection présidentielle ou à une majorité au Parlement de se considérer comme le seul représentant légitime de la ” volonté générale ” de la nation.
La bataille des idées sur la question de la démocratie est l’un des aspects clés du changement historique que nous vivons et interroge non seulement les élites politiques et culturelles. Elle a aussi une valeur cruciale pour la religion et en particulier pour le christianisme et le catholicisme. Il est certainement vrai que l’opposition radicale entre ces deux paradigmes politiques est commune à tous les pays “démocratiques ” du monde actuel. Cependant, la tension idéologique et politique sur des questions telles que les migrations, l’économie, l’Etat providence, les politiques du travail en Europe, est devenue une véritable fracture tout au long d’une ligne historique et géographique qui va de Varsovie à Budapest, et qui continue par Vienne pour atteindre Rome. Fait significatif, cette même faille géopolitique inclut également la Bavière, où le gouvernement régional de Munich développe une politique sur les migrants qui est plus proche de celle des gouvernements italien et autrichien que des idées du chancelier allemand à Berlin.
Cette réflexion offre une clé pour interpréter la crise politique européenne actuelle dans un contexte historique plus large, dont les racines remontent à ce qui a émergé pendant la Première Guerre mondiale en termes de liens entre les identités nationales et les croyances religieuses au cœur même de l’Europe catholique. La montée de nouvelles formes de nationalisme en Pologne, en Hongrie, en Autriche, en Italie et dans une partie de l’Allemagne n’est pas seulement liée aux choix de certains mouvements politiques ou à un mélange d’intérêts économiques et de recherche du pouvoir. L’utilisation du catholicisme pour renforcer l’identité nationale de la Pologne, avec des marches religieuses tout au long des frontières contre le danger des ” invasions ” de migrants, ainsi que l’utilisation de l’Evangile et du chapelet dans la rhétorique électorale d’un leader politique italien, sont plus que de simples ” coups de théâtre ” pour parvenir à un consensus plus large. De telles actions appellent une tentation intérieure, présente dans les pays “traditionnels” d’Europe catholique, de lier étroitement et de confondre l’appartenance nationale et l’appartenance religieuse, considérant la “défense” de l’intérêt et de la sécurité nationaux comme un devoir qui est cohérent avec le catholicisme.
Par conséquent, la crise actuelle de la démocratie est aussi une question de relation entre le catholicisme et la démocratie, non seulement au niveau théologique, philosophique ou politique. La lutte cruciale se manifeste au sein des communautés catholiques locales et dans la pratique religieuse quotidienne des Églises nationales qui n’ont pas complètement accepté le rôle historique de la ” sécularisation ” comme quelque chose qui libère l’Église des liens du pouvoir politique, la rendant libre d’annoncer l’Évangile avec la parole et la vie des chrétiens. Certes, l’utilisation du “catholicisme” comme instrument politique montre que le rôle public de la religion fait partie du monde d’aujourd’hui, y compris en Europe, et n’est pas quelque chose qui n’appartient qu’à l’Islam. Cependant, la forme d’une telle utilisation, qui réduit le catholicisme à l’ancien paradigme du “religio instrumentum regni”, remet radicalement en question le rôle de l’Église, en particulier dans les pays et régions où les catholiques soutiennent des formes nouvelles de nationalisme, en Europe et en Amérique. L’Église doit développer une nouvelle attention à la mémoire et à l’histoire pour acquérir la conscience que le christianisme fait partie de l’histoire et qu’il est partagé par différents peuples, pays et cultures. Mais la tentative de confondre la ” défense ” d’une nation avec la ” défense ” du catholicisme exige aussi une conscience renouvelée du fait que la foi est quelque chose d’irréductible à la forme culturelle contingente d’une nation et qu’elle assume chaque expérience historique humaine comme quelque chose que l’Evangile rend pleinement humaine.
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