Chers amis et amies,
Ceux qui ont signé cette lettre, chrétiens et chrétiennes inquiets de la situation que nous vivons en Catalogne, ont estimé qu’il serait peut-être bon d’expliquer ici notre vision de la situation et que nous devrions chercher à trouver une issue. Évidemment, sans prétention de convaincre qui que ce soit, mais uniquement avec le désir de faire connaître publiquement les différentes manières d’aborder le problème existant au sein de la communauté chrétienne, fondées sur la même foi et la même fidélité à l’Evangile de Jésus.
Nous adressons cette lettre à tous les chrétiens et aux chrétiens qui souhaitent la lire, ainsi qu’à tous les autres citoyens susceptibles d’être intéressés par notre opinion. Nous sommes motivés par le désir de promouvoir la création à tous les niveaux possibles, des canaux de dialogue indispensables à l’avancement de notre pays. Nous présentons donc ici, sous forme de neuf points, notre vision de ce qui nous arrive et de ce que pourrait être la recherche d’une sortie.
1- En commençant par l’aspect le plus délicat de la situation dans laquelle nous vivons, nous pensons que l’emprisonnement en détention préventive, d’un groupe de dirigeants indépendantistes, n’a aucune justification, et semble plus être un écart indu d’un pays démocratique que toute autre chose, et cela cause un très grave préjudice aux personnes touchées, ainsi qu’à leurs familles et à l’ensemble de la société. Nous demandons aux juges qui sont responsables de cette décision, ainsi qu’à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, peuvent influencer, de penser au mal qu’ils font et activer les mécanismes nécessaires à la libération des prisonniers tant qu’il n’y a pas de sentence définitive.
2- Nous estimons également que les infractions reprochées aux dirigeants indépendantistes emprisonnés ne correspondent pas à la réalité des événements, de sorte que les peines qui pourraient leur être associées seraient clairement injustes. Sans aucun doute, beaucoup d’entre eux ont eu des interventions exceptionnelles dans des actions qui ne respectaient pas la légalité démocratique, mais pas au point extrême qu’on est sensé leur imputer. Par conséquent, nous exigeons que le procès auquel ils sont soumis corresponde à ce qui s’est réellement passé. Et nous demandons également que, le moment venu, ils puissent faire l’objet de mesures de grâce qui facilitent la réconciliation sociale dont notre pays a besoin.
3- La situation en Catalogne a des racines très profondes. Mais, à l’évidence, la crise actuelle a ses origines directes dans l’attitude du parti populaire et de l’espagnolisme le plus rance, attaquant d’abord le statut approuvé légalement par le peuple de Catalogne lors d’un référendum, puis avec la fermeture à tout dialogue politique et à toute proposition raisonnable de répondre aux revendications nationales exprimées en Catalogne, qui sont toutes le fruit d’une attitude remarquablement visible dans l’action policière du 1er octobre 2017. En ce sens, nous apprécions donc très positivement ce que le changement de gouvernement en Espagne a signifié, et les possibilités de dialogue qui ont été ouvertes. Certes, le changement de ton et d’attitude du gouvernement espagnol ne suffit pas, et nous pensons qu’il vaudrait la peine, dans ce sens, de faire preuve de plus de courage au moment de faire des propositions, mais qu’il s’agit en tout cas du premier pas indispensable pour dénouer la situation
4- D’autre part, nous constatons avec tristesse que le gouvernement de la Generalitat agit souvent comme s’il devait empêcher le dialogue d’être possible et fructueux. Nous ne voyons pas, en particulier dans les actions du président de la Generalitat et dans celles d’autres dirigeants de l’indépendance, une volonté de trouver des points d’accord permettant de progresser. Les revendications qui sont présentées et le ton avec lequel elles le sont, ne sont pas celles auxquelles on devrait s’attendre chez les personnes qui ont une réelle volonté de négocier.
5- On a le sentiment que derrière cette attitude des leaders indépendantistes, il y a la conviction que la cause de l’indépendance de la Catalogne a, en soi, une supériorité morale ou une sorte de légitimité intrinsèque que tout le monde devrait reconnaître et qui justifierait tout ce qui est fait pour l’obtenir. Mais cette supériorité morale ou légitimité intrinsèque n’existe pas, et ce qui compte, c’est la volonté exprimée démocratiquement par les citoyens de Catalogne. En Catalogne, comme le montrent toutes les élections qui se sont déroulées ces dernières années, les partis qui mettent l’indépendance comme point central de leur programme n’atteignent pas 50% des voix. Nous pensons que cela devrait inciter les dirigeants de ces partis à ne pas essayer de parler comme si l’indépendance qu’ils défendaient était la volonté d’une grande majorité de Catalanes et de Catalans, mais à reconnaître et à respecter le fait que la Catalogne, dans ce domaine, est clairement divisée.
6- Face à la division que nous vivons en Catalogne, cela ne semble pas favoriser la coexistence collective que d‘exacerber la division en discréditant au-delà du raisonnable le cadre juridique, ou en encourageant le dédain pour tout ce qui vient d’Espagne, ou en aussi le mépris pour les Catalans qui ne sont pas d’accord avec les critères de l’indépendantisme qui gouverne. Le bien de la Catalogne et l’objectif essentiel d’être un peuple unique, conseilleraient plutôt de chercher des moyens de coexistence et d’organisation sociale qui, en garantissant le consensus et les conditions de base, permettent de construire un véritable espace de rencontre commun. Et cela ne signifie pas que les partis indépendantistes doivent renoncer à leurs objectifs: cela signifie simplement qu’il serait souhaitable qu’ils reconnaissent qu’en ce moment, ils ne se donnent pas les conditions pour l’atteindre sans faire des dégâts considérables. Heureusement, il faut le dire, ces derniers temps, nous avons vu comment une partie du mouvement indépendantiste commence à accepter ce fait et nous nous en féliciterons.
7- Dans l’objectif d’être une seule ville, nous voudrions mettre l’accent sur un aspect qui, en Catalogne, a un poids déterminant. Nous faisons référence à la situation de la langue catalane. Les convulsions de ces dernières années ont amené un certain nombre de Catalans, qui n’avaient pas le catalan comme langue de famille, mais qui avaient supposé et intériorisé qu’apprendre et utiliser la langue catalane était une bonne chose tant sur le plan personnel que social, ont maintenant commencé à vous tourner le dos. Depuis l’indépendantisme, ils ont agi comme si le catalan était inextricablement lié à l’indépendance. Et comme ces Catalans d’origine familiale non-catalane ne veulent pas de l’indépendance, ils en sont venus à considérer le catalan comme une langue ennemie. Ainsi, un consensus qui avait coûté beaucoup à créer s’est rompu. Nous pensons que les partis de l’indépendance devraient sérieusement réfléchir à cette réalité. Et ils devraient également réfléchir au mal qui peut être provoqué dans les autres territoires avec lesquels nous partageons la même langue.
8- De notre point de vue, nous voudrions revendiquer d’ici la possibilité d’un pays capable de travailler de manière pacifique, dans la dignité et la bonne coexistence. Pour cette raison, nous voudrions encourager le gouvernement espagnol à continuer sur la voie du dialogue en dépit de toutes les difficultés. Le gouvernement espagnol, bien que le gouvernement catalan n’ait pas la réponse souhaitable, ne devrait pas arrêter les actions qui rendent ce travail viable et digne, allant dans le sens d’un réexamen de l’Espagne en tant que nation multinationale et en en tirant les conséquences politiques et juridiques pertinentes. Et nous voudrions faire un autre appel: nous voudrions demander aux partis qui jusqu’à présent ont refusé de chercher une solution politique au conflit que nous vivons, d’être en mesure de changer d’attitude et pour le bien de tous.
9- En attendant, en Catalogne, nous devrons également commencer à parler. La radicalisation actuelle des approches a amené certains citoyens à opter pour des positions qui semblent inconciliables, à la fois pour défendre l’indépendance de la Catalogne que pour défendre l’unité de l’Espagne. Mais ces positions peuvent changer et, par ailleurs, nous pensons que si la situation entre dans davantage dans la voie du dialogue, elle changera certainement. Mais il faudra avoir le courage de faire cet effort et ne pas attendre trop longtemps pour y arriver. Si tout le monde ne veut pas parler, au moins, parlez-en à ceux qui veulent et veulent créer un avenir pour tous. Voyez quels sont les désirs et les projets concrets des différents points de vue, cherchez des dénominateurs communs et marchez.
Nous écrivons ceci alors que nous nous préparons à célébrer Noël. Et pendant que nous l’écrivons, nous ne pouvons manquer de réfléchir aux critères de vie que Jésus nous a enseignés et à leur évidence dans les récits de sa naissance: paix pour tous, dignité pour tous et surtout pour les pauvres, l’appel à un monde fraternel, la joie de la Bonne Nouvelle de Dieu. Peut-être qu’en Catalogne, nous nous sommes tellement concentrés sur nos luttes internes que nous avons oublié certains de ces critères. Nous aimerions que vous trouviez un mode de vie qui soit plus ou moins acceptable pour la majorité de la population, et nous pourrions nous concentrer davantage sur les luttes pour le bien commun telles que comprises par Jésus.
Rafael Calvo Oyón, Josep Maria Carbonell Abelló, Cori Casanova Barberà, Lourdes Casanovas Cristóbal, Salvador Clarós Ferret, Andreu Comellas Doñate, Albert Farriol Vinyes, Quireria Guirao Abellán, Josep Lligadas Vendrell, Pilar Malla Escofet, Antoni Pascual Pujós, Mercè Solé Tey.
December 17, 2018
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