De la liberté à la sécurité
La valeur maîtresse promulguée aujourd’hui par la politique n’est pas la liberté, mais la sécurité. Le monde, le système des valeurs, la société, la santé, la culture, tout cela apparaît comme vulnérable et, par voie de conséquence, est également ressenti comme tel. Cette vérité est fabriquée par les médias, et ceux-ci obéissent à leur propre agenda économique et politique dont la proportion de terreur, d’horreur, de peur et d’incertitude est l’ingrédient quotidien.
Les grandes religions du monde professent toutefois un message de liberté et non de sécurité, une vision d’un «possible quand même». C’est ce message-là que les représentants des religions doivent doivent faire passer – qu’il soit opportun ou non.
Comprendre la peur: «panique morale»
Les peurs et les paniques qui s’emparent des sociétés font aujourd’hui partie des dynamiques de fond de l’opinion publique. Afin de pouvoir comprendre les tendances profondes de nos sociétés, il est nécessaire de penser et d’accepter avec courage la complexité chaotique (Armin Nassehi), la volatilité («liquidity»), les différences (Zygmunt Bauman) et le caractère absolu des valeurs fondamentales du vivre ensemble dans la pluralité (Ernst-Wolfgang Böckenförde, Chantal Mouffe).
La «panique morale» est une approche théorique qui permet de comprendre la dynamique des peurs et des paniques à l’œuvre dans la société. Les éléments de panique morale sont les suivants: premièrement, crainte d’une menace éventuelle; deuxièmement, hostilité à l’égard de coupables réels ou seulement présumés tels; troisièmement, consensus au sein du groupe sur le risque possible; quatrièmement, amplification des conséquences générales sur la base de peu de cas; cinquièmement, volatilité des paniques qui disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues.
Il existe différentes approches de cette théorie qui mettent au cœur de leur recherche soit «les élites», «les groupes d’intérêts» soit des particuliers qui savent traduire leurs «peurs individuelles» en peurs collectives. Afin de pouvoir déclencher une panique morale, il doit déjà exister dans la société des peurs latentes et la disposition des institutions à se laisser porter par ces peurs.
Un examen approfondi des hommes et de la culture doit aujourd’hui prendre en compte cette logique pour, à partir de là, tenter de capter les «signes des temps». Par rapport à cela, la miséricorde signifie: ouvrir des espaces justement là où l’on serait enclin à penser qu’il n’y a ni place ni reconnaissance ni pardon. Elle s’oppose à toute marginalisation et nous délivre de nos peurs.
D’après des enquêtes menées en Europe centrale et orientale, il est attendu de la religion qu’elle prenne position sur les questions suivantes: la solidarité avec les faibles et les laissés-pour-compte, la dénonciation de l’injustice et de la corruption. Les prises de position de l’Église à ce propos doivent vraiment prendre en compte les réalités de la société et se fonder sur la Bonne Nouvelle de Jésus. Il ne peut y avoir de christianisme hors du Christ.
Une religion foncièrement religieuse
L’expérience démontre que, par rapport à des questions de société complexes, certains représentants de l’Église s’expriment parfois avec un mélange d’assurance et d’inexpérience. Leurs dires s’appuient alors trop rarement sur la connaissance des sciences sociales et n’ont souvent pas même de fondement théologique. Trop souvent, leurs déclarations sont de simples répétitions dénuées de recul critique des positions politiques de leur parti de prédilection. Ils parlent alors un langage religieux sans religion et sans fondement sérieux (c’est-à-dire réfléchie) de la société.
Ce type de prises de position publiques ne prend au sérieux ni le savoir ni la religion elle-même. L’exigence d’une «religion pleinement religieuse» apparaît donc d’actualité. S’entend par là une religion qui défende sa vision et sa logique religieuse propre dans une compréhension approfondie des processus et des rapports culturels et sociaux.
Une politique foncièrement politique
Une autre expérience montre – une fois de plus principalement en Europe centrale –, que les politiciens puisent, dans l’exposé de leurs programmes, de plus en plus d’éléments relevant du religieux et du spirituel et font allusion à l’empreinte religieuse de l’histoire de leur pays. Ce faisant, ils instrumentalisent toujours la religion de la majorité et influencent l’opinion commune sur la religion et l‘Église. Des notions religieuses fondamentales font partie de leur herméneutique politique. Les politiciens font cela sans réelle connaissance de la religion ou de l’Église. Ils ne conçoivent pas la pluralité religieuse comme une véritable option. Ils ignorent la valeur propre de la religion et soumettent la religion à leur logique politique. C’est à la fois méconnaître la politique et mépriser la religion.
D’où l’exigence d’une «politique tout à fait politique» où la logique politique et la mise en évidence d’objectifs politiques propres sont déterminantes, à l’exclusion de toute rhétorique religieuse et de toute instrumentalisation des religions.
Les époques de panique morale offrent aux représentants des Églises et des religions une excellente occasion de transmettre les valeurs et la sagesse religieuses. Elles signifient en même temps une responsabilité plus grande à l’égard de la société. La transmission doit être adaptée au contexte. À cet effet, ceux qui parlent au nom de l’Église devront s’astreindre non seulement à une réflexion approfondie, mais aussi à une formation continue, dans le cadre d’une coopération avec la communauté scientifique, laquelle dispose de connaissances approfondies sur les processus sociaux. À une époque léthargique où l’imaginaire s’avère déficient, le message chrétien de la miséricorde divine a aujourd’hui l’occasion de rendre ce Dieu tangible en paroles et en actes et d’offrir ainsi à notre culture une nouvelle vision et un nouvel objectif.
Le 24 octobre 2016, la Commission européenne a organisé son séminaire de dialogue avec les Églises chrétiennes intitulé cette année «Migration: Mapping and addressing fear» («Migration: cartographier et scruter les peurs»). Le sociologue des religions hongrois András Máté-Tóth, de l’Université de Szeged, a présenté l’un des deux exposés introductifs. Nous restituons ici la version abrégée et légèrement remaniée de son intervention.
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