Résumé d’une conférence de Mgr Albert Rouet
Et si on passait d’une Église centripète, qui place le prêtre au centre, à une Église où celui-ci fait le lien entre les initiatives des laïcs ? D’une Église pyramidale à une Église en réseau ? Tel était le propos de Mgr Albert Rouet, archevêque émérite de Poitiers, invité des Journées thématiques de la Communauté romande de l’apostolat des laïcs (CRAL) les 18 et 19 janvier à Saint-Maurice.
Les journées thématiques de la Communauté romande de l’apostolat des laïcs (CRAL) ont rassemblé à l’Hôtellerie Franciscaine à Saint-Maurice les 18 et 19 janvier une soixantaine de délégués des mouvements et de laïcs engagés en Église autour du thème « Le souffle de l’Église passe par la créativité des laïcs. La créativité des laïcs donne souffle à l’Église ».
L’occasion d’écouter Mgr Albert Rouet, archevêque émérite de Poitiers. Né en 1936 dans un milieu d’agriculteurs de l’Indre, dans le centre de la France, ce spécialiste de pastorale sacramentelle a été longtemps au contact des jeunes dans le monde scolaire. Il fut archevêque de Poitiers, dans le centre-ouest de la France, de 1994 à 2011.
Sur la base de son expérience – la mise en oeuvre d’une Église de communion dans le sillage de Vatican II, il a proposé une réflexion sur le rôle et la place des laïcs dans l’Église et dans le monde. « Aurions-nous, près vingt siècles de christianisme, produit un peuple impuissant, soumis ? », s’est-il écrié en écho aux réactions entendues à l’annonce de sa volonté d’organiser le diocèse autour d’équipes de laïcs, comme cela se fait déjà en Afrique. « Ce serait une faillite pour l’Évangile, un contretémoignage dans notre monde après un concile qui a parlé 158 fois des laïcs. Mais a-t-on véritablement mis en oeuvre le concile Vatican II ? Et l’Église, qu’attend-elle des laïcs ? Quelle nourriture spirituelle et quel encouragement leur apporte-t-elle ? »
Mais d’abord, d’où vient le mot « laïc » ? Des trois termes employés en grec pour désigner le peuple, le Nouveau Testament a conservé, pour nommer le peuple de Dieu, le mot laos de préférence à ethnos (qui a donné « ethnie ») et demos (qui a donné « démocratie » parce qu’il désigne un peuple ouvert, sans frontières, « qui accueille le tout-venant, le pauvre, l’étranger ».
L’Église est fraternité
Mgr Rouet a pointé dans l’histoire trois étapes fondatrices de la réalité d’aujourd’hui : le Nouveau Testament, la sortie de l’utopie et le concile Vatican II. Un rapide survol de vingt siècles d’histoire : « Attachez vos ceintures, je vais vous mener à un train d’enfer ! ».
Première étape : le Nouveau Testament. Citant saint Paul, le conférencier a rappelé que « par le baptême nous sommes tous, de l’évêque au dernier des baptisés, sur un pied d’égalité, nous sommes un dans le Christ, notre frère, qui nous rassemble. La vie chrétienne s’établit sur la relation au Christ, et mettre le Christ au centre c’est ouvrir à l’universel. Ainsi, tout laïc est l’Église, celle-ci est totalement présente en chacun des baptisés ». Pas facile de s’ouvrir à l’universel : il faut laisser place à l’autre, nous ne sommes pas le centre du monde – d’ailleurs « au nom de quoi l’Occident serait-il la norme de la théologie ? ».
Et puis, le terme « fraternité » a désigné la communauté ecclésiale durant trois siècles avant d’être occulté par celui d’« Église ». « L’Église était d’abord une double fraternité: universelle, à l’égard de tous les hommes, qui correspond au projet de Dieu pour le monde; ecclésiale, à l’intérieur de la communauté ». « L’Église est donc un laboratoire de fraternité pour réaliser le projet de Dieu. L’Eucharistie, par exemple, propose le partage d’une même Parole et d’un même pain dans un monde divisé : elle anticipe et célèbre le monde que Dieu désire. Mais elle est toujours une victoire sur nos égoïsmes, sur une spiritualité romantique et intérieure qui n’a rien à voir avec l’Évangile. En témoignent les divisions qui se sont fait jour dans les premières communautés chrétiennes ».
Match de boxe
Deuxième étape : la sortie de l’utopie. Dès la fin du 4 e siècle, sous l’empereur Théodose, le christianisme devient la religion officielle. « Tous les peuples doivent se rallier à la foi chrétienne », dit l’édit de Thessalonique en 380. Dès lors, « être membre d’une société donnée et être chrétien est la même chose », évêques et abbés sont nommés par le pouvoir temporel et deviennent des princes. Durant des siècles, le pouvoir temporel va garder la main sur le pouvoir spirituel.
En opposition émerge la définition de l’Église comme « une société sainte et hiérarchique» : d’origine divine, elle échappe au pouvoir des empereurs et des évêques et comme société, elle s’oppose au monde. « Vous entrez dans le match de boxe ! », a relevé Mgr Rouet. L’Église, copiant la société civile, se coupe du peuple: les jubés, les nefs qui s’allongent, le latin, autant de façons de l’éloigner de la célébration. Les clercs, en sacralisant le pouvoir, le confisquent. Ce sont eux les patrons. Le laïc n’est plus que « le sujet de la hiérarchie catholique ». « Introduisez un laïc: c’est comme s’il y avait deux crocodiles dans un marigot: le conflit est programmé! Sacraliser le pouvoir, c’est déclencher la guerre entre clercs et laïcs. »
Cette conception de l’Église, « qui a créé le laïc soumis au prêtre », était celle des évêques à l’ouverture du concile Vatican II. A la fin des travaux, ils avaient défini l’Église, dans la constitution dogmatique Lumen gentium, comme « sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (paragraphe 1). En elle, il n’y a « aucune inégalité qui viendrait de la race ou de la nation, de la condition sociale ou du sexe », car « il n’y a ni Juif ni Grec, il y a ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, vous n’êtes tous qu’un dans le Christ Jésus ». Ainsi « L’Église forme un seul peuple de Dieu où tous ont la même dignité, et ce peuple est premier », a commenté le conférencier qui a appelé à inventer un autre modèle d’Église : l’évêque et les prêtres ne sont pas les patrons, ils sont au service de la double fraternité que le laïc est appelé à vivre.
Halte à la sacralisation!
« Aujourd’hui, nous avons le choix : ou les clercs continuent à sacraliser et à confisquer le pouvoir – qui n’aura de signification que pour ceux qui s’écrasent ou pour une petite bourgeoisie qui en a soif – ou on retrouve la fraternité du Nouveau Testament qui reconnaît la dignité de chaque chrétien », a relevé Mgr Rouet. Pour lui, « c’est une erreur de vouloir sacraliser le pouvoir, distinguer pour séparer. L’Évangile, lui, est dans la catégorie de la sainteté: il distingue pour unir, faisant de la distinction le lieu de la rencontre ». Au contraire, « il faut décentraliser. Promouvoir de petites communautés fraternelles à dimension humaine, des communautés où on se connaît ». Et Mgr Rouet de remettre en cause la direction prise dans nos diocèses en Occident : « Cessons de centraliser à tour de bras ! De calquer le nombre de paroisses sur celui des prêtres que l’on aura dans cinq ans. Et de pallier le manque de prêtres en faisant appel à des prêtres venant de pays pauvres. Tout cela pour ne pas toucher aux structures héritées de l’histoire et à la sacralisation du pouvoir. Quel jeu joue-t-on ? C’est un jeu dangereux. Revenons à ce qu’a voulu le Christ ».
Mgr Rouet a appelé à mettre en place un nouveau modèle d’Église : « Changeons les structures pour donner plus de responsabilités aux laïcs. Pour cela, il faut partir des sacrements et non de la paroisse, sortir de l’organisation territoriale pour réorganiser l’Église ». Il faut passer d’un modèle où le prêtre est le patron à des communautés responsables.
C’est affaire de créativité. « N’allez pas chercher du côté de ceux qui veulent restaurer une Église qui n’existe plus ! Et qui plaît parce qu’elle est redevenue du folklore. Ces nostalgiques d’une identité irréformable, je ne crois pas qu’on peut travailler avec eux : chez eux, on devient patron ou gourou, il n’y a pas de place pour la consultation. » Et d’ajouter : « Ne nous laissons pas berner! L’apostolat n’est pas de la publicité ! Leurs méthodes sont inadaptées et elles ne tiendront pas. Le chrétien est appelé à vivre la fraternité ecclésiale pour réaliser l’unité du genre humain : ce qu’il vit en Église symbolise ce qu’il désire vivre dans le monde ».
Une table de mixage
L’Église de demain ? Pour le conférencier, « elle est celle où le prêtre fait le lien entre les croyants, crée la fraternité et préside l’Eucharistie parce qu’il préside à la communion. Dont il est la tête au sens où celle-ci fonctionne comme une table de mixage ». Ce qui compte, c’est la qualité de l’ouverture des groupes et le rapport que l’on a aux choses et aux autres – c’est sur ce point que l’Évangile nous interroge : « il doit être humainement juste, dans la fidélité au type de relations que le Christ a nouées ». Et de lancer : « Vous laïcs, quelles initiatives prenez-vous ? L’Église n’est pas une sécurité sociale. Il n’y a pas de chrétien inutile, de trop ! L’avenir de l’Église passe par les marges ». Et par une plus grande confiance accordée aux baptisés. Dans cette Église, il n’y pas de distinction entre matériel et spirituel, temporel et éternel, nature et surnature, social et spirituel ; mais « une spiritualité qui transforme ce monde en un monde selon le coeur de Dieu ». Le baptisé est appelé à se rapprocher de ses contemporains, à établir une réciprocité entre l’Église et le monde, à promouvoir un mode de vie plus humain, à achever la création en l’imprégnant d’esprit chrétien, des valeurs des Béatitudes. « L’Évangile passe là où on a la possibilité d’humaniser les relations, il pénètre le monde comme un ferment. » Et Mgr Rouet de mettre en garde : « Fini le temps où le bon coeur suffisait ! Le chrétien doit être compétent pour avoir du crédit. Et être capable d’amener l’autre en position d’échange. Car on ne peut rien faire sans lui ». Enfin, l’Église de demain est celle qui « laisse de l’espoir au possible ».
Dieu nous attend dehors
Le dimanche, Mgr Rouet s’est intéressé au rôle du laïc: il va où le prêtre ne peut aller, il entre en contact, dans sa vie de tous les jours, avec des gens indifférents ou anticléricaux. Il affirme ainsi que l’Église n’est pas la totalité du réel. Et chez ceux qu’il rencontre, il y a des gens généreux, compétents, dévoués en qui, bien qu’ils l’ignorent, le Christ est présent. Les laïcs apportent à l’Église « la présence de l’esprit créateur du Christ chez ceux qui ne sont pas de l’Église ». Le Christ lui-même a loué Zachée, le collecteur d’impôts, le Centurion et bien d’autres. Les laïcs disent à l’Église que Dieu l’attend dehors, qu’il est déjà présent dans l’humanité et que c’est à elle de sortir. « Le problème n’est pas de savoir qui vient à l’Église aujourd’hui, mais vers qui l’Église va aujourd’hui. Et les laïcs sont en contact permanent avec cette humanité que Dieu a donnée à son Fils. » Une Église qui oublierait la présence des laïcs, les mouvements de laïcs oublierait qu’elle est pour les hommes et non pas pour elle-même. Elle n’aurait pas compris sa vocation première. « C’est l’image des deux mains d’Irénée: une main qui pousse l’Église vers dehors et une main à l’intérieur du monde qui tend vers l’Église. » Celle-ci est d’abord une manière d’être avec les autres.Pour une Église qui fait confiance aux laïcs.
Ainsi, les mouvements sont indispensables à l’Église à condition d’être imprégnés par l’Évangile. Ce qui compte, c’est la qualité des échanges fraternels.
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